
©Lily Thibeault
Je me prépare à sortir du chalet, ambitieuse et déterminée, qualités indispensables pour s’aventurer dehors avec la puce pour la toute première fois. Je fais quelques pas à l’extérieur et sans perdre de temps, ma tête se met en marche. Je commence la liste, cette agaçante liste de tâches qui flotte toujours quelque part dans ma tête et me fait culpabiliser de ne pas réaliser autant de chose qu’il ne le faudrait (selon qui, je l’ignore, mais il faut donc que ça se fasse, au plus vite !).
Je marche et les pensées filent et défilent. Ne pas oublier d’annuler tel rendez-vous, répondre à tel message, écrire à eux, payer tel truc, rappeler le pédiatre, inscrire la grande à tel cours, terminer tel texte. Je marche sans même me rendre compte de la direction que prennent mes jambes. Je me retrouve enfin au bout de la route où plusieurs options s’offrent à moi : un champ, une autre route et la forêt. Les arbres m’attirent.
Un joli petit sentier m’attend à l’orée du bois. Il me sourit, comme un ami les bras tendus. J’accepte l’invitation et entre dans cette douce forêt. Dès les premiers pas, mes épaules descendent. Les arbres me massent les trapèzes, me chuchotent à l’oreille de me calmer les nerfs.
Plus j’avance et plus je me sens légère. Le parfum de la terre mélangé à celui des conifères, cette odeur si fine, si particulière qu’aucun parfumeur – pas même Jean-Baptiste Grenouille – n’arriverait à reproduire, m’allège la tête. De petits nuages de pensées grises sortent de mes oreilles et disparaissent au loin. Je jette un coup d’œil au petit paquet endormi contre ma poitrine, je la regarde en m’interrogeant…l’odeur se rend-elle à elle ?
Je traverse une jolie forêt de pins, un tapis d’épines accueille confortablement chacun de mes pas. Ça me rappelle certains tapis des années ’80 mais en plus agréable car cette fois, je n’entends pas de console Nintendo pousser de petits sons aigus nous informant que quelqu’un vient de réussir le truc des cent vies. Ici, il n’y a que le doux son de la rivière qui coule.
Je marche comme une enfant de trois ans, incapable d’avancer en ligne droite. Mes yeux se promènent entre le sol, les troncs d’arbres géants, les champignons, les feuilles… Les feuilles aux coloris enflammés… Les érables remportent certainement la palme du rouge le plus vif. Si chaud…on pourrait y griller des guimauves.
Je marche en tournoyant, en m’arrêtant ici et là. Puis, soudain, je le vois. Ce soleil d’octobre parfait, plus doux que celui de juillet, qui scintille entre les arbres comme un joyau dans l’eau ruisselante. Cette lumière me fascine et capte toute mon attention. Elle fait fondre les inquiétudes citadines de j’ai tu changé le char de côté de rue, fait taire la petite voix de l’égo qui trouve donc que les choses vont pas assez vite à son goût, elle éloigne la culpabilité de ne pas être à jour dans les rapports de TPS/TVQ.
Tout ça est maintenant très loin, très anodin.
Soudainement rien n’est grave et tout se peut.
Les rayons du soleil servent d’étincelle pour rallumer certains rêves que le quotidien m’a fait perdre de vue. Je repense à tel projet que j’ai mis de côté. Je me dis que je dois absolument redonner vie à tel autre truc que j’ai envie de réaliser depuis un moment. Et si je faisais ça finalement ? Mais oui, tellement ! Tout est clair et simple.
Je poursuis mon chemin en me demandant sérieusement comment je fais pour vivre si loin de tout ça. Ces odeurs, ces couleurs…ces centaines d’arbres et leur silence apaisant et réconfortant.
C’est décidé, en rentrant à Montréal, je m’installerai un petit bout de forêt d’automne à côté de mon bureau. Ainsi, lorsque j’errerai entre mes douze onglets ouverts dans Google Chrome, la bouche ouverte comme un poisson rouge qui se demande s’il ne vient pas de reprendre le même chemin pour la vingtième fois aujourd’hui, je pourrai simplement me lever de mon bureau, faire quelques pas, et laisser les arbres me détendre les épaules. Laisser la lumière réorienter mon attention et me rappeler ce qui compte réellement.