Se regarder

Je ne suis pas la seule…une des expériences les plus traumatisantes que j’ai vécue dernièrement fût une visite à l’épicerie. J’ai eu un choc en voyant un commis nettoyer frénétiquement les poignées de porte des congélateurs dès qu’un client venait d’y poser une main. C’était au début de tout ça, il y a trois ou quatre (ou cinq) semaines, il s’agit du moment précis où j’ai véritablement pris conscience de ce qui était en train de se passer.

Depuis, lorsque je dois faire des courses, je réalise que ce ne sont pas tant les nouvelles mesures – flèches au sol, 2 mètres, panneaux de plexi…- qui me choquent. C’est ce qu’on peut trouver dans les regards des gens. Et je ne blâme personne, je peux absolument comprendre un regard horrifié de voir passer un commis à moins de deux mètres. Avec le stress ambiant, les mauvaises nouvelles auxquelles on peut avoir accès à longueur de journée, je comprends absolument la panique de certains.

Mais comme il fait bon de croiser un regard lumineux, à l’occasion ! Des yeux souriants. Comme il est doux de vivre un échange entre inconnus. Je ne parle pas de séduction, mais de chaleur humaine, de bienveillance, d’une communion plutôt que d’une bataille de méfiance dans les allées.

Le printemps est habituellement une saison de renaissance dans notre belle province. Dès les premiers redoux, nous sommes tous excités de mettre le nez dehors, sortir les vélos, ranger les tuques, les mitaines et tout le reste, sortir les kits de printemps. Le premier 16 degrés ensoleillé un samedi midi est toujours extraordinaire à Montréal. Trottoirs bondés, parc remplis de sourires…des milliers de regards brillants entre inconnus s’échangent…on revit. On sort de nos cachettes, on sacre les manteaux de plumes dans le fond d’une caisse où il est inscrit « HIVER », pis on sort, souriants, légers, heureux.

Ce temps de l’année me manque. Ce prolongement d’hibernation forcé va à l’encontre de notre nature.

Alors je ne sais pas…lorsque nous avons la chance de croiser des regards, même à deux mètres de distance, on pourrait, peut-être, faire une pause de méfiance et se faire croire que les allées d’épicerie sont des allées de grands arbres centenaires dans un parc, prendre une grande inspiration et s’échanger un regard doux ?