Un vendredi soir, suis assise au bar face à mon interlocuteur somnifère, le pauvre, le charisme d’une boîte à lunch. Mes yeux ne peuvent s’empêcher de regarder tout autour fuyant le discours de l’autre qui se vante de faire pas mal plus d’argent que ses amis. Et là, je crois reconnaître au loin un visage familier. Le petit DJ est en fait…HAN ? WHAT ? Éric ??? Je reconnais cette face de tannant – que j’ai vu tant de fois se transformer en toutes sortes de personnages weird – je m’excuse à peine de quitter momentanément cette discussion à sens unique pour aller faire un gros hug à un de mes « petit gars ».
Lors de ma jeune vingtaine, moment flou de ma vie où je passais beaucoup de temps à m’étourdir, on me parle un jour d’une job de coach d’impro. Salaire correct, demande beaucoup de temps et d’implication (je me connais, je ne ferai pas ça à moitié si je m’embarque..), mais bon, le concept d’être payée pour transmettre une de mes passions me plaît. Allons voir.
Lors du camp de sélection je détecte rapidement un grand potentiel chez plusieurs jeunes. J’en choisis sept, une fille et six gars. Malheureusement, la fille quitte après deux semaines, elle manque de temps pour les pratiques. Je me retrouve donc à partir de ce moment avec six « petits gars » (qui bientôt me dépasseront tous d’une tête).
On se voyait plusieurs fois par semaine, pour les pratiques puis pour les matchs. Je faisais une ride incroyablement longue de métro + bus pour les retrouver après l’école, mais j’avais tellement hâte. C’était le highlight de ma semaine. Pas que à cause de l’impro, mais tout le reste autour. Nos origines variées provoquaient des échanges tellement intéressants…nous étions Haïtiens, Portugais, Français et Québécois. J’ai de fabuleux souvenirs d’eux qui m’emmènent dans un dépanneur près de l’école pour me faire découvrir le grillot, d’un moment où je leur explique ce qu’est la cabane à sucre et comment on fait le sirop d’érable, de moi qui leur parle du Québec tel que je l’ai connu enfant, du Québec hors Montréal, de la campagne…je me souviens encore de leurs grands yeux figés lorsqu’ils m’écoutaient leur décrire un monde qu’ils connaissaient à peine.
Pendant nos longues promenades en bus de la STM pour aller jouer aux quatre coins de la ville, ils étaient si loud, siiii loud, parlant tous en même temps, sautillant pour couper la parole et finir l’histoire de l’autre, on n’entendait qu’eux dans le bus. Je faisais semblant d’être exaspérée mais la vérité c’est que j’étais fière, si fière d’accompagner ces grands gars aux yeux brillants. Ils étaient habités d’un enthousiasme que je n’avais jamais connu. Ils faisaient une pause sur leurs soucis d’ados une soirée, le temps de redevenir des gamins et juste s’amuser entre eux. Et moi j’avais la chance d’assister à ça, j’avais l’immense chance d’avoir leur respect et leur confiance, j’avais le très grand privilège d’avoir accès à leur coeur.
Notre saison d’impro s’est déroulée à la manière d’un film de Walt Disney. « Coin coin », c’était nous ça. Les underdogs qui montent dans le classement, sourire aux lèvres, jusqu’à la finale.
Et là, au bar, mon ancien capitaine et moi, on retrouve instantanément ce sourire, tellement tellement heureux de se voir comme ça, par hasard ! Il me dit qu’il termine bientôt son shift de DJ et je l’invite à me rejoindre après, ce qu’il fait. Et là, on jase, assis au bar. On se remémore plein d’anecdotes, on rit, et il me dit que j’ai été importante pour eux. Qu’il était rare pour eux d’être en contact avec des adultes autre que leurs parents et leurs profs, des gens qui leur font voir une autre façon d’aborder la vie. Que ça leur a fait du bien de connaître quelqu’un qui choisit de faire de sa passion un métier, de foncer. Et là, je l’écoute, émue et je réalise tout le bien qu’eux m’ont fait.
Dans ma vie chaotique de jeune dans le début de la vingtaine qui se pétait la face tous les week-end, ils étaient ce que j’avais de plus près d’une famille. J’avais besoin d’eux autant sinon plus qu’ils avaient besoin de moi. Ils me gardaient bien enracinée dans la vie, car je ne voulais pas les décevoir, je voulais arriver top shape pour eux. J’avais envie de les emmener le plus loin possible, pas juste en tant qu’improvisateur mais en tant qu’humain, car ils avaient tous, sans exception, d’extraordinaires personnalités.
Les gars, Mat, Habi, Maxence, Sach, E.T., Éric, vous occuperez à jamais une place toute spéciale dans mon coeur. J’espère que vous n’arrêterez jamais d’être loud.
